"L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaitre chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inatendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont le plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.
"Habitudes de sauvages", "Cela n'est pas de chez nous", "On ne devrait pas permettre cela", etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion de manière de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères.
Ainsi l'antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens.
Or dérrière ces épithètes se dissimule un même jugement: il est probablement que le mot barbare se se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ;
et sauvage, qui veut dire "de la forêt"évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine.
Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère la rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.
Ce point de vue naïf, mais profondément ancré chez la plupart des hommes, n'a point besoin d'être discuté puisque cette brochure en constitue précisément la réfutation".
Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire
