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16 novembre 2013 6 16 /11 /novembre /2013 17:26

 « Qu'est ce qu'on fout là ?

 Tenter de répondre à la question, c'est entrer dans les nimbes du désir. Qu'est-ce qui nous pousse ? Qu'est-ce qui nous attire ? Quel est ce moteur surpuissant qui fait que je me mets une fois de plus à écrire sur mon métier et à côté...»

Joseph Rouzel

 

(Article destiné initialement à une revue mais le numéro de celle-ci ne verra finalement pas le jour. le thème de celle-ci était: Accompagner, soigner, éduquer ça sert à quoi? ) 

 

 L'enjeu est double .

 Écrire sur bien plus qu'un métier mais sur un engagement au quotidien, avec tous les remous et tracas existentiels qu'il nous amène à vivre. Mais pas seulement. Écrire  aussi sur la finalité même d'une profession qui, par delà ses contours, se doit de laisser libre la personne qu'elle prend sous son aile, de contourner les plans qu'elle avait fait pour elle. Le travailleur social ne peut se montrer tout puissant dans le parcours de vie des personnes dont il fait la rencontre.

 D'hier à aujourd'hui, de mon entrée en formation à maintenant, je ne sais toujours pas ce que je fous là, ni même si j’apporte quelque chose à ceux que je croise dans une rencontre que l'on classifie « éducative ».

 

 Je viens d'outre tombe. Ma vie fut souvent en lambeau. Encore parfois. On ne change pas une écorchée vive ni son destin, même si aujourd'hui, le soutien de mon entourage, de mes nombreux(ses) ami(e)s a changé de trente fois la donne. J'avance plus sereine.

 Je me reconnais bien souvent dans les mômes que je rencontre. Si je n'étais la même à leur âge, je n'en étais pas fort éloignée. Les adultes oublient trop souvent qui ils ont été.  Un passé moins traumatique probablement pour ma part, quoique, les grandes violences ordinaires sont parfois banalisées dans ce qu'elles peuvent causer comme séquelles à quelqu'un. Et puis les coups de la vie qui se répètent, l'enfance ne détermine pas non plus tout, la vie peut mettre des coups en permanence. Le passé, le présent... il est parfois dur de se construire lorsque les douleurs nous entaillent le cœur.

 Dans chaque môme que je rencontre, il y a quelque chose de similaire, il y a cette faille qui raisonne et qui fait que je me sens proche. Je ne peux me désolidariser de l'enfant ni de l'adolescente que j'ai été, ni même de mes failles toujours présentes à l'âge adulte. Mon empathie vient de mon vécu. Et pour tout avouer, celle-ci s'est consolidée par tous ces vécus hors sentiers battus rencontré lors de mon métier.

 Et si l'empathie me semble une qualité à l'âge adulte, face à des gamins récalcitrants et déviants, c'est que je me rappelle fort bien moi même, ce manque d'empathie justement. Je pourrais aujourd'hui classer pas mal d'adultes au dessus de 4 sur une échelle de un à dix, dans la catégorie  fort peu empathique lorsque j'étais enfant. Et n'oublions pas que les adolescents sont encore des enfants. Par ailleurs, fort peu empathique rime avec fort peu sympathique. Peut-être ne comprenaient-ils rien à ce qu'il m'arrivait et ne cherchait même pas à le comprendre et se contentaient de me classifier dans la case peu récupérable ? Méfiants quand à mes projets, chaque fois. Se concentrant sur mes failles, sans tenter de faire advenir mes qualités.

 Je n'ai commencé à réussir mes projets que lorsque des gens ont cru en moi. Aujourd'hui, la confiance suffisante, parce qu'on a d'abord cru en moi, je n'ai plus besoin de la bienveillance des autres pour y croire.

 

 « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien » affirmait Socrate.

 Des millénaires après le 5ème siècle avant J-C, son enseignement m’apparaît bien plus essentiel que n'importe lequel autre,  encore plus lorsque les « difficultés » d'un être, nommées socialement de par ma simple présence à ses côtés, atterrissent entre mes mains.

 

 Si « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien », c'est que rien dans la surface des « difficultés » d'un être ne me semble enseigner qui il est ni ce qui lui permettra de développer ses possibilités de résilience. Face au mystère d'un être, au mystère de ses comportements qui nous mette en déroute, nous désarçonnent même quelque fois, nous optons parfois pour cette fâcheuse tendance au fatalisme, l'enfermant alors dans un avenir fort sombre, nous inquiétant à outrance, tenté alors de sortir l'artillerie lourde afin qu'il se normalise.

 Mais n'oublie t-on pas que face à ses dérapages, un être a parfois besoin de temps pour s'autoriser à utiliser d'autres mécanismes de défenses dans sa relation au monde et à autrui . Que poser des limites n'est pas suffisant,  que maintenir notre confiance en lui et en ses possibilités est essentiel pour qu'il s'autorise à transcender certaines de ses manières de réagir .

 Que poser une limite n'aura de sens que si celle-ci prend le temps d'écouter et de dialoguer avec ce qui a poussé au passage à l'acte . Que celle-ci pourra en revanche s'avérer inutile et contre-productive si celle-ci est un désir de dressage ou de matage de la personne .

 

 Et si l'inquiétude trop importante face à quelqu'un qui dérape, sapait toute confiance pour lui en ses possibilités?

 Et si celle-ci attisait l'envie de ne surtout pas faire advenir celles-ci ?

 

 Qu'est ce qu'être éducatrice spécialisée ? A quoi je sers ? Il m'est difficile de répondre à cette question. Il m'est difficile de saisir l'essence de ma mission comme si celle-ci m'apparaissait impalpable.

 J'en ai pourtant rencontré des gamins, des adultes qui avaient ce besoin criant de soutien, ce besoin impérieux à l'intérieur de leurs comportements en marge, d'être reconnus, entendus dans tout ce que la vie avait pu leur faire vivre d’innommable. Car la souffrance d'un être ne se tait pas mais se camoufle au travers d'actes, d'attitudes, de comportements, tels les symptômes d'un parcours de vie que personne ne s'imagine et digne de nos pires cauchemars.

 

 Mon choix de carrière s'enracine d'abord dans un désir profond de solidarité. Et si je n'étais éducatrice somme toute que pour ne pas laisser autrui seul face à ce qu'il vit ? Probablement que je sers à ça, tout d'abord à rester solidaire.

 

 Peut-être pas seulement.

 Peut-être également à apporter un peu de réconfort, de chaleur, d'humanité, à accueillir ceux qu'il m'est donné de rencontrer là où ils en sont et à éviter tout jugement mortifère sur leurs actes.

 Peut-être à leur permettre un espace d'écoute, de parole, de dialogue sur leur innommable cadenassé à clef, à leur permettre de faire des ponts entre un parcours de vie et certains actes, à leur donner espoir sur leurs possibilités,  à les aider à ce qu'elles adviennent.

 Peut-être à me servir de moi-même et de certains de mes aléas comme outil pour leur permettre de réaliser qu'une existence n'est jamais toute tracée et qu'il n'est pas vain de croire en demain.

 Peut-être à leur permettre de trouver les moyens de se réaliser au travers d'activités artistiques, créatives, où ils peuvent occuper une place nouvelle, se découvrir autrement, apprendre à être et à se valoriser.  se réaliser en tant que personne au delà des critères d'une société normative et compétitive.

 

 Je ne sais pas ce que je fous là ni même vraiment si je sers à quelque chose  Il me semble en effet impossible de mesurer les effets de mon action vis à vis d'autrui. Tout d'abord car se sortir d'impasse prend du temps. Parfois énormément de temps. Ça ne veut pas dire que notre travail ne portera pas ses fruits plus tard. On réalise  parfois des avancées concrètes lors de notre action.  Parfois on se sent inutile pour celui qu'on tente de soutenir. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne lui sert à rien. Il est d'ailleurs pour certains question de moments, certains ne sont pas prêts à être aidés, même si l'on ressent qu'ils auraient besoin. Plus tard sera peut-être le moment pour eux. Ou pas. Peut-être la rencontre avec un autre éducateur fonctionnera aussi mieux. Car un accompagnement ne  se définit pas qu'avec des moyens mis en place, des projets, des entretiens... un accompagnement est en premier lieu une histoire de rencontre entre deux êtres. Une maîtresse de maison dans un foyer réussira parfois

mieux à aider un enfant qu'un éducateur. Simplement parce que le lien fonctionne, que l'enfant reconnaît en cette personne celle avec qui il se sent bien et qui lui apporte ce dont il a besoin.

 

 Accompagner, soigner, éduquer, notre action a t-elle un impact si une personne n'adhère pas à l'aide proposée ? Je ne crois pas.

 

 Je n'ai que des questions. Très peu de réponses. La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien.

 

 Je crois cela dit en mon métier et je l'exerce avec passion. Je ne recherche pas l'efficacité mais que mon action fasse tout d'abord sens pour l'autre et qu'elle puisse, peut-être, lui servir à quelque chose. Peut-être à se trouver lui-même et à trouver ses propres solutions face à l'adversité.

  Je crois en chaque personne et en ses possibilités de faire face , chaque fois. Je crois aussi en ses possibilités de s'en sortir sans moi même lorsque ses choix me troublent. Je ne détiens pas la vérité quand au bon chemin à prendre. Ce sont parfois les personnes qui m'apprennent.

 Dois-je m'offusquer si ma tentative de soutien ne prends pas ? Non... Je ne suis pas maître du destin d'autrui et ne cherche pas à contrôler son existence.

 

 J'ai la sensation d'exercer mon métier lorsque je mets des choses en place pour tenter de le soutenir, pas lorsque je suis efficace.

 Rechercher l’efficacité dans un accompagnement me semble dangereux car porte ouverte à tous les rejets de l'autre si celui-ci n'est pas prêt à aller mieux.

 

 Si la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien, c'est que mon action ne s'enfermera jamais dans une quelconque certitude, qu'elle se définit dans les contours d'une relation avec l'autre et qu'au travers de cet espace, tout est à recréer, sans cesse et avec l'autre.

 

 C'est pour cela que j'aime mon métier, car il n'est pas science exacte, qu'il bouscule nos certitudes et qu'il ne trouve sa pertinence que dans une ouverture et un dialogue avec autrui.

 

 

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commentaires

J
Votre texte est sublime, très inspirant. Merci de l'avoir écrit.
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